« Dans le silence, on entend le grondement sourd de celle qui vient pareil à celui du mascaret remontant le fleuve de la mer vers la source. »
Celle qui vient, 15e livre d’Allain Glykos à L’Escampette, vient de paraître en librairie. Grand texte sur la mort, celle du meilleur ami, du compagnon de jeunesse que l’auteur, aux côtés de la fille silencieuse du mourant, assiste à l’hôpital dans ses derniers moments.
Celle qui vient offre un mélange singulier de haute culture et d’observations triviales. La peinture italienne, l’archéologie étrusque voisinent avec les flacons de perfusion, les yaourts vides, les odeurs morbides et les gestes mécaniques des soignants. Ce va-et-vient troublant donne une dimension quasi mythologique (cruauté et grandeur) à l’agonie de l’ami que la figure de sa fille, semblable à une divinité muette et patiente, accentue encore ; on pense à l’une des Parques, Clotho, la plus jeune – et peut-être la plus bienveillante des trois -, ou dans nos cimetières chrétiens, à ces jeunes femmes de pierre qui veillent sur un tombeau avec une grâce énigmatique.
C’est aussi un livre sur l’amitié, dont l’évidence, du temps de la vie, n’avait pas besoin de phrases et qui prend soudain conscience de sa force et de son urgence devant un lit de mort. Amitié fondée sur des différences, des rivalités surmontées, des secrets non partagés. Sur le temps perdu aussi, et sur des bêtises, des complicités, des souvenirs de fêtes. Le plus terrible, au cours de cette longue remémoration, est que la vie ordinaire, dans l’hôpital et dehors, donne à l’agonie tout son sens mais aussi, dans le même mouvement, le détruit.
« Tu es un ange » lui murmure l’agonisant. C’est un des mystères du livre. Que signifient ces mots ? On sait que par son étymologie latine « ange » signifie « messager ». Comme si c’était ici l’ami qui venait porter à la fois la nouvelle et le secours, nouvelle de l’inanité, secours de la présence.
Celle qui vient est un livre d’une humanité inquiète et douloureuse, grâce auquel ceux qui ont vécu une semblable épreuve pourront peut-être voir un peu plus clair dans l’obscur, dans leurs propres ténèbres, ce qui, dans le fond, répond à l’un des rôles essentiels de la littérature.
Car pour celui qui s’en va, « … la nuit n’est plus la nuit, elle n’est que le prolongement du jour assombri par des oiseaux qui volent au-dessus de sa tête. »
(Rédigé par Vincent Jacq, éditeur d’Allain Glykos à L’Escampette)